Premier dimanche en brousse en compagnie du Père
Aujourd’hui, 12 octobre 1969, Soeur Thérèse et Soeur Madeleine
montent en 4 L avec le Père Georges pour Tikéré,
village de 100 à 150 habitants, situé à 12 km de Léré.
La route est sèche… La voiture file ;
mais bientôt il faut ralentir : chemins étroits, tortueux, cahoteux.
Nous longeons le lac sous un soleil éclatant
qui a déjà épanoui les beaux nénuphars :
invitation première à nous laisser imprégner, comme eux,
de la vie et de l’ardeur de ces gens avec qui nous allons partager la journée.
Tout est verdoyant : des bouquets d’arbres çà et là : c’est la savane arbustive.
Nous croisons quelques femmes portant jarre
ou plateau sur la tête, et « bébé » dans le dos.
Voici bientôt les premières cases.
Un bambin a aperçu la voiture. Il disparaît.
Pas besoin de klaxon pour annoncer notre arrivée !
En bon estafette de « Radio-Brousse, il prévient tous arrivent !…
Par les sentiers, en files indiennes, accourent les enfants.
Le Père stoppe.
Jeunes et vieux, filles et garçons se bousculent pour nous saluer :
« Soko, soko poulli » = bonjour ! bienvenue beaucoup !
50 petites mains se glissent dans les nôtres,
les yeux et les sourires expriment ce que les langues ne peuvent traduire,
mais que les coeurs comprennent !
Les étudiants, eux, sont fiers de nous dire :
« Bonjour Père ! Bonjour ma Soeur ! »
Mais ils sont peu nombreux… Pas d’école ici.
Quelques privilégiés seulement vont à l’école à plusieurs kilomètres.
Aussitôt, nous gagnons la chapelle bâtie près du lac.
Le Seigneur est abrité comme les habitants :
case un peu plus grande et rectangulaire,
aux murs de briques brunes en potopote (c’est la terre du pays, séchée au soleil).
A l’intérieur, des bancs de terre séchée servent d’agenouilloirs ou de sièges.
Au choix ! Le mur du fond est bien lisse :
tableau de fortune qui permet au catéchiste d’expliquer ses Cours.
Deux piliers, au centre, soutiennent la charpente qui supporte le toit de chaume.
Le Père prépare la Messe avec deux catéchistes.
Il leur rappelle le sens de l’épître et de l’évangile de ce vingtième dimanche,
qu’ils auront à retraduire en moundang.
Nous préparons les ornements et l’autel : modeste table de moins d’un mètre.
La chapelle, trop petite, ne peut contenir tout le monde.
Du commencement à la fin de la Messe, nous sommes émerveillées
de la foi et de l’ardeur qui animent ces Africains.
Nous vibrons avec eux, entraînées dans leur prière
au rythme des chants scandés par le tam-tam.
S’ils sont exubérants, ils savent aussi se recueillir
et se plonger dans une adoration profonde…
silence quelquefois troublé par un bébé affamé…
mais bientôt, plus de larmes…
en toute simplicité, la tétée est donnée…
Après la Messe, grande réunion avec le Père.
A l’ordre du Jour : approfondissement du Message évangélique à transmettre,
organisation des catéchismes,
cas particuliers à résoudre (mariages – dots – baptêmes),
paiement de la dîme, problèmes de la vente du coton : tout y est traité.
C’est aussi l’occasion d’une véritable « correction fraternelle » des catéchistes,
qui leur permet de réviser leur vie à la lumière de l’Evangile,
et de se remettre sans cesse en cause pour une véritable conversion.
Pendant ce temps, nous rejoignons la voiture
et ouvrons la « valise-dispensaire »…
« Et les gens vinrent à Lui en grande foule…
On lui amena tous les malades, et Il les guérit … ».
Ceci se réalise encore aujourd’hui.
Vite, nous essayons de soulager ces pauvres gens.
Nous soignons les plaies, distribuons des médicaments.
Alors, que de sourires !
Des enfants viennent aussi réclamer les vieux journaux graisseux
qui tapissent le fond de la 4 L.
Pour lire ? Non ! Mais pour faire des « couvertures »…
Le papier est rare, et les livres doivent être couverts !…
A l’ombre de quelques arbres, des femmes épluchent des herbes.
Comme elles, nous nous asseyons à terre
et prenons quelques tiges à effeuiller…
Avec quel bonheur, ces Moundangs nous apprennent
à préparer les herbes qui serviront pour la sauce !
Nous échangeons quelques mots de la langue du pays.
Que d’éclats de rire lorsque nous « ânonnons » une phrase,
ou que nous utilisons un mot pour un autre…
Nous sommes heureuses, au milieu de ces gens si pauvres, mais si simples.
Combien nous nous sentons proches d’eux !
Tout à coup, voici les catéchistes suivis du Père.
Nous sommes invités à manger la « boule »…
Pour nous, c’est la première fois !
Une femme nous apporte de l’eau pour nous laver les mains, et disparaît.
En bien des endroits encore,
les femmes ne prennent pas leur repas avec les hommes.
Dans la case du catéchiste, nous nous asseyons
sur des tabourets très bas, autour de deux marmites.
Dans l’une, des morceaux de viande de chèvre
baignant dans une sauce appétissante.
Dans l’autre, une magnifique boule !
= grosse semoule de mil, bouillie et pétrie.
On croirait voir une miche de pain avant la cuisson.
Comment la manger ?
Nous regardons les Africains, et, comme eux,
nous prenons une petite boule – avec les doigts -,
puis nous la trempons dans la sauce de viande…
C’est la coutume !…
Comment vous traduire notre joie de ce premier « pain partagé » ?
Après ce repas frugal, le Père reconduit une fillette souffrante, dans son village.
Elle avait fait 10 km à pied pour venir à la Messe, sous un soleil de plomb.
Alors, Louis, le catéchiste de Tikéré nous offre
une promenade en pirogue, sur le lac,
en attendant le retour du Père.
Tandis que l’embarcation glisse doucement sur les eaux,
nous dialoguons avec Louis.
Il habite de l’autre côté du Lac :
pour venir à Tikéré, il lui faut compter une heure de traversée…
Aussi, a-t-il décidé de « quitter son pays »
pour vivre au milieu de ceux qui lui sont confiés.
Au retour du Père, nous allons saluer le Chef du village
qui nous fait l’honneur de nous introduire dans sa case personnelle,
et de nous offrir une calebasse de ‘bil-bil’ (bière de mil),
que les femmes préparent habituellement dès le vendredi.
Mais le soir tombe. Il nous faut reprendre la route de Léré…
Le soleil baisse à l’horizon, le ciel s’embrase.
Invitation nouvelle à la louange et à l’action de grâces…
La journée « africaine » n’est pas terminée.
Toute la Communauté missionnaire (le Père Georges, Michèle, et nous toutes)
est invitée à partager la « boule » chez Luc, le cuisinier des Pères.
Mêmes rites qu’à midi.
Mais nous avons la joie de pouvoir inviter (la coutume le veut ainsi) Elisabeth,
la femme de Luc, à partager ce qu’elle a préparé avec tant de soin.
A la lueur de la lampe à pétrole, cette soirée s’achève
dans la joie du partage et d’une sincère amitié.